79.
Morne et discret, le dépôt des taxis Vétérans n’était pas le genre d’endroit que l’on remarquait. Il était situé au milieu d’un pâté de maisons du West Village, et ses grandes portes en métal, rouillées. Couvertes de taches de graisse, ne payaient pas de mine.
L’accès à Jane Street avait été interdit de part et d’autre de la rue déserte. Des voitures de patrouille de la police de New York étaient garées partout autour du dépôt. Carroll en compta dix-sept.
Il repéra des voitures banalisées du FBI et une trentaine d’agents armés jusqu’aux dents à couvert dans une station-service Shell.
Les policiers et les agents fédéraux étaient équipés de fusils d’assaut M16 automatiques, de fusils anti-émeutes de calibre 12, de Magnum 357. Carroll n’avait jamais vu une telle force d’assaut, un arsenal aussi stupéfiant.
Il s’adossa à sa voiture et, tapotant sur le capot, observa les portes métalliques et l’enseigne tordue et décolorée, sur laquelle on pouvait lire TAXIS ET COURSIERS VÉTÉRANS.
Quelque chose le tracassait. Il y avait encore un truc qui clochait, dans cette histoire.
Carroll plissa les yeux et regarda attentivement en direction de la station Shell. Les types du FBI se tenaient parfaitement immobiles, attendant le signal qui leur enjoindrait de passer à l’action.
Walter Trentkamp se tenait à ses côtés.
Carroll sortit son Browning. Il regarda l’arme dans sa main et réalisa, non sans surprise, qu’une voix intérieure lui soufflait de faire attention. Faire attention ? Il n’avait jamais fait attention, auparavant – alors, pourquoi s’y mettre maintenant ? En fait, il pensait tout de même savoir pourquoi.
— Archer.
Walter Trentkamp lui donna un petit coup de coude. Une limousine descendait lentement la rue triste et silencieuse.
Le commissaire divisionnaire Michael Kane en sortit, avec solennité. Le nouvel arrivant, dont l’expérience du terrain était limitée et qui était plus politicien que flic, serrait un porte-voix dans sa main.
— Oh putain, non… marmonna Carroll.
La voix du divisionnaire Kane retentit dans la petite artère du West Village :
— Ici le commissaire divisionnaire Kane… Vous avez une minute pour sortir du dépôt. Dans soixante secondes, nous ouvrirons le feu.
Carroll scrutait le dépôt de briques rouges. Son corps était contracté, il avait la nuque et le front moites. Il leva lentement son pistolet pour le placer en position de tir.
Il n’y avait pas le moindre mouvement dans le garage.
— Vingt-cinq secondes… Sortez du dépôt, les mains au-dessus de la tête…
Trentkamp se pencha pour chuchoter quelque chose à l’oreille de Carroll. L’une des choses que ce dernier appréciait chez lui, c’était qu’il était resté un homme de terrain. Il ressentait encore le besoin de se trouver en personne au cœur de l’action.
— Imagine qu’on soit totalement en train de se planter ? Imagine qu’on se soit trompé de mecs, que ce ne soit pas la bonne boîte de coursiers ? Il y a un truc qui me chiffonne dans tout ça, Arch.
Carroll ne répondit rien. Il observait et réfléchissait.
— Vingt secondes…
— Viens, Walter… Suis-moi.
Carroll se dirigea vers les portes du dépôt, talonné par Trentkamp, qui lui avait emboîté le pas avec une certaine réticence. Le commissaire divisionnaire avait arrêté son décompte.
Soudain, il y eut des policiers et des agents du FBI partout autour d’eux, se forçant un passage entre les bords déchiquetés des portes fracassées, pénétrant en force dans le dépôt plongé dans l’obscurité.
Quelqu’un alluma une lumière, qui révéla un immense garage, quelconque et sinistre.
Carroll se figea, Browning au poing.
Il cligna plusieurs fois des yeux. Il sentait des relents d’huile et de graisse, ces odeurs âpres laissées par les vieilles voitures en mauvais état. Des flaques d’huile couvraient le sol en béton. Des outils de mécanicien traînaient par terre en désordre.
En dehors de cela, il ne restait plus rien dans le garage des taxis et coursiers Vétérans.
Pas le moindre taxi, pas le plus petit vétéran.
Et nulle trace du colonel Hudson.
Armes pointées, Carroll et Trentkamp entreprirent d’explorer les locaux. Un étroit escalier en colimaçon menait à l’étage.
C’est alors qu’ils le virent… le message laissé à leur intention.
Scotché à un mur couvert de taches de graisse, il les narguait, se moquait d’eux. Il se riait de tous ces enquêteurs de police incapables – un ricanement discordant, un croassement strident d’oiseau de la jungle.
Un ruban vert, méticuleusement noué, avait été accroché sur un mur nu, tel un reste d’emballage de cadeau de Noël.
C’est ça, songea Carroll.
Rigolez.
Les membres de Green Band s’étaient volatilisés. Purement et simplement. Et, comme d’habitude, ils avaient une exaspérante longueur d’avance.
Ils avaient mis les bouts… mais pour aller où ?